Photographie aérienne de l’aérodrome et de la place d’armes d’Emmen en 1951. Collection photographique swisstopo.
L’année dernière, l’aéroport militaire d’Emmen a remis des cartes contenant des mentions manuscrites à la collection cartographique de swisstopo. Ces cartes donnent un aperçu de l’histoire de l’aviation et montrent le rôle qu’y a joué la carte Siegfried.
Stefan Scheuteri, responsable du service de documentation et de photographie à l’aéroport militaire d’Emmen, a contacté la collection cartographique de swisstopo en été 2022. Le sous-sol de l’aéroport abritait des feuilles de l’Atlas topographique (carte Siegfried) qui n’étaient plus utilisées par le personnel de l’aéroport. swisstopo a ainsi repris quatre feuilles présentant des mentions manuscrites qui leur confèrent une pertinence historique et une valeur patrimoniale. Ces mentions manuscrites montrent comment le matériel cartographique servait de base de planification pour les opérations aériennes et comment les installations militaires étaient tenues secrètes.
Après une première volonté en 1924 de la part du conseil municipal de Lucerne de créer un aérodrome civil et une expertise de l’Office fédéral de l’air en 1926 sur la liaison de Lucerne au réseau aérien, c’est en 1928 que l’Office fédéral de l’air recommanda de créer une piste d’atterrissage sur la surface entre la route d’Emmen-Waldibrücke et le Rotbach. À l’été 1930, le commando de pilotes militaires se rendit sur le terrain d’aviation à l’étude. Entretemps, le conseil municipal avait rejeté le projet en raison de coûts trop élevés. Or, la commune d’Emmen voyait dans la construction d’un aérodrome une opportunité de lutter contre un chômage alors élevé. Comme les deux aérodromes d’entraînement de l’armée de l’air situés à Dübendorf et Thoune étaient saturés, le service de l’aviation et de la défense contre avions demanda le 28 septembre 1937 la création d’un aérodrome militaire permanent avec une usine de construction aéronautique pour la ville et le canton de Lucerne. L’assemblée communale d’Emmen décida le 24 avril 1938 de soutenir financièrement le projet à hauteur de 200 000 francs.
Le premier atterrissage officiel sur le terrain d’Emmen eut lieu le 7 juillet 1939. De nombreux bâtiments pour l’hébergement du personnel et le stationnement des avions furent construits les années suivantes. La piste d’atterrissage mesurant déjà 1100 mètres en 1946 fut allongée de 400 mètres supplémentaires en 1951 pour atteindre une longueur totale de 1500 mètres. Elle fut de nouveau allongée en 1957. La piste fut agrandie de 600 mètres au sud-ouest et de 400 mètres au nord-est pour atteindre une longueur de 2500 mètres. Depuis 1993, l’aérodrome sert de base aérienne à la «Patrouille Suisse» et depuis 2018 à l’escadrille d’aviation 19. C’est pour des raisons de secret défense que la piste ne figura sur la carte nationale qu’à partir de 1994.
La feuille «203 Emmen» se révèle être d’une valeur considérable pour la collection cartographique de swisstopo car elle contient de nombreuses notes manuscrites sur la piste et des instructions sur des trajectoires de vol potentielles et des points de repère importants. En outre, cette feuille de carte démontre comment les installations militaires ont été tenues secrètes sur les feuilles de carte officielles pendant la guerre froide.
Carlo Bosco du service de vol de swisstopo a pu donner de précieuses indications sur les annotations, mentionnant toutefois qu’elles étaient majoritairement spéculatives, faute de sources complémentaires.
La piste principale tracée au crayon à papier, longue de 1500 mètres en 1951 et prolongée jusqu’à 2500 mètres en 1957, laisse supposer que les tracés ont été effectués à cette période.L’axe de la piste est prolongé aux deux extrémités, ceci pour mesurer éventuellement les angles à partir de l’axe. Les surfaces hachurées aux extrémités indiquent vraisemblablement des zones de sortie ou de dégagement.
Les longues flèches le long de la Reuss et au départ du terrain d’aviation en haut à droite indiquent la direction de vol nord-ouest. La place d’armes d’Emmen et les trajectoires de vol figurent sur la moitié gauche de l’image. Extrait de la feuille 203 Emmen, Collection cartographique swisstopo. LT K 63, 1947.
Une flèche tracée le long de la Reuss à la hauteur d’Emmen montre la direction générale de vol au départ de la piste en direction du nord-ouest. On ne sait pas précisément si la ligne a été faite au compas ou à vue, parallèlement à la Reuss avec des points de repère. La flèche rouge à l’extrémité de la piste indique qu’on a pris un cap vrai au départ de l’extrémité de la piste. Les marquages matérialisés par des cercles ont été dessinés au compas à une distance de 3 à 4 kilomètres de l’extrémité de la piste. Le but de ces marquages n’est pas clair.
Les flèches rouges et le cercle au nord de Rüeggisingen montrent très vraisemblablement des trajectoires de vol alors que les mentions au crayon à papier précisent les altitudes de vol associées en mètres au-dessus de l’altitude du terrain (de l’aérodrome). Le cercle entoure la place d’armes d’Emmen. Comme les flèches n’indiquent pas de forme géographique précise, on peut supposer que l’on a tracé à vue et que l’on a utilisé des points topographiques caractéristiques comme aides à la navigation. Ceci s’utilise ainsi encore aujourd’hui. L’exemple montre le survol ou le contournement de certaines maisons ou groupes de maisons et l’utilisation des limites de forêts comme points de repère. Il est possible en plus qu’une photo des quatre côtés de la caserne ait été prise ici. Toutefois, personne n’a trouvé de photos aériennes qui pourraient le confirmer. L’image cartographique explicite, par rapport à la photo aérienne (photo 1), la manière dont on a veillé à garder secrète l’infrastructure militaire sur la feuille de carte officielle.
Les chiffres romains ont été probablement utilisés pour éviter d’éventuels malentendus avec les chiffres arabes. Il s’agissait très probablement pour les mentions romaines «la» et «lb» d’instructions indiquant qu’il fallait voler à 750 mètres au-dessus de l’altitude du terrain. À ces altitudes de vol, il devait être question d’un exercice en vol ou d’une mission. La signification des coordonnées 664 985 / 216 600 ainsi que des chiffres 24, 4, 6 demeure floue.
La note figurant sur le bord de la carte mentionne «Störung Schussachse 55°- 60°» et «Abstellplätze 110-120°», c’est-à-dire «panne de l’axe de tir 55°-60°» et «parkings 110-120°». Ces mentions pourraient ici avoir un lien avec des exercices de tir. À vrai dire, la question se pose de savoir si par «tir» on entendait le lancement d’un projectile ou bien la prise d’une photo aérienne. Toutefois, aucune prise de vue aérienne n’a pu être associée.
Les notes manuscrites figurant sur la feuille «203 Emmen» de l’Atlas topographique démontrent comment la carte fut utilisée pour les opérations aériennes en général, les exercices en vol, les exercices de tir et pour les points de repère. Le graphisme clair de la feuille, sans les hachures encore dominantes sur la carte topographique (carte Dufour), permettait d’utiliser la carte Siegfried pour planifier des manœuvres aériennes, l’infrastructure et l’industrie. L’exemple montre aussi comment la préservation du secret militaire s’illustrait dans les cartes officielles. Ni la piste de l’aéroport ni l’emplacement de la place d’armes d’Emmen n’étaient publiés sur la feuille. Ces objets caractéristiques n’apparurent sur les cartes qu’à la fin de la guerre froide. Leur absence sur la feuille de la carte Siegfried témoignait d’une Suisse résolue à se défendre pendant la guerre froide. Les feuilles servent aujourd’hui de sources historiques concernant la Suisse du 20e siècle.