Carnet de terrain avec les noms géographiques du Val Bavona. Par exemple, le vétérinaire A. Sartori a fourni des informations (à droite). (swisstopo, Collection cartographique, carnet de terrain 495, env. 1896)
Poncello ou Puntcell ? Illarsaz ou Illarse ? Kalbermatt ou Chalbermatt ? L’orthographe des noms de lieux et des lieux-dits fit sans cesse l’objet de débats animés dans toutes les régions du pays. Mais la plus grande controverse porta sur la façon de concilier langue écrite et dialecte.
Les cartes topographiques tendent vers l’objectivité. Mais elles comportent un élément particulier qui contrecarre systématiquement cette exigence : l’impossibilité de relever les noms des agglomérations, pâturages, vallées et rivières au moyen d’un instrument. La seule méthode consiste à demander à la population locale. Comment s’appelle cet alpage ? Comment se nomme cette colline ? Quel est le nom de ce ruisseau ?
Cette forme singulièrement subjective de l’acquisition de données a engendré de nombreux défis pour la cartographie tout au long de son histoire. Les différences existant entre dialecte et langue écrite notamment s’avérèrent un véritable casse-tête.
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Dans le val Bregaglia, la population parle un dialecte local, le bargaiot. Il présente des similitudes avec le lombard et le rhéto-roman, et se distingue clairement de la langue italienne écrite. Mais lorsque la feuille Maloja de la carte Siegfried parut en 1876, le bargaiot y était totalement absent : les noms géographiques du val Bregaglia avaient été systématiquement adaptés à la langue italienne écrite.
On ne sait pas précisément ce qui avait motivé les cartographes à changer radicalement les noms. Cette italianisation méthodique visait probablement à assurer l’unité linguistique. Mais en procédant de la sorte, les cartographes avaient bafoué une règle d’or, voulant que les noms soient relevés avec l’orthographe locale. Cette règle était le seul moyen d’être sûr de pouvoir s’entretenir du contenu de la carte avec la population locale.
Et en effet, les noms italianisés des lieux-dits parurent fort étranges et inhabituels pour les habitants et habitantes du val Bregaglia. Ils se plaignirent de ces « noms ‹incorrects› » et exigèrent que les désignations en bargaiot leur soient substituées. Comme le directeur du Service topographique Leonz Held le rapporta en 1910, les habitants et habitantes du val Bregaglia ne se calmeraient pas « tant que les toponymes originaux n’auraient pas été rétablis sur les feuilles correspondantes de la carte Siegfried. » À partir de 1906, les noms géographiques du val Bregaglia figurèrent sur la carte tels qu’ils étaient orthographiés par la population locale.
Brucciato devient Brüsce et Mongatto Mungatt : en 1906, les noms italianisés des lieux-dits cédèrent la place aux appellations en bargaiot (swisstopo, collection cartographique, LT TA 520, 1876 et 1906).
En Suisse romande aussi, les cartographes durent concilier patois et langue écrite. Différents patois, comme sont appelés les dialectes de Suisse romande, étaient encore largement utilisés au début du XXe siècle. Les cartes reflétaient cette situation linguistique : les éléments en patois tels que les terminaisons des noms en az ou bien encore le mot praz désignant la prairie se rencontraient souvent sur la carte Siegfried.
Le Conseiller national bernois Virgile Rossel voyait d’un mauvais œil ce mélange de patois et de français standard sur les cartes officielles de la Suisse. Selon lui, les dialectes étaient depuis des décennies en perte de vitesse et allaient être bientôt totalement remplacés par le français standard. V. Rossel était donc d’avis qu’il fallait éradiquer systématiquement les éléments en patois pour assurer l’avenir des cartes.
En 1910, V. Rossel s’adressa au Conseil fédéral et exigea une francisation systématique des noms géographiques en Romandie. Il se référait pour cela à un autre partisan de ce changement, le professeur genevois de philologie romane Ernest Muret :
Il faut donc, de toute nécessité, que les noms de lieu patois accueillis sur les cartes et dans l’usage officiel soient désormais francisés, avec mesure, avec tact, avec discrétion, mais d’une façon générale, systématique […].
Le Conseil fédéral et le Service topographique rejetèrent la proposition de V. Rossel. Ils soulignèrent que les cartes officielles ne devaient pas servir de laboratoire à la politique linguistique. Selon eux, les cartes avaient pour but de reproduire les noms géographiques tels qu’ils étaient connus par la population locale. De plus, une carte topographique devait décrire le présent et non un hypothétique futur : les patois étaient en effet encore bien vivants en Romandie au début du XXe siècle.
Malgré ce refus catégorique, les partisans de la francisation réussirent brièvement à mettre en œuvre leur projet sur les cartes du Bas-Valais. C’est le topographe Charles Jacot-Guillarmod qui en fut l’auteur. En tant que collaborateur de haut-rang de l’Office fédéral de topographie, il partageait les convictions de V. Rossel et il les appliqua secrètement : en 1908, C. Jacot-Guillarmod francisa furtivement certains noms sur la feuille 484 « Lavey-Morcles » de la carte Siegfried. C’est en raison, entre autres, de cette intervention non autorisée que Ch. Jacot-Guillarmod fut démis de ses fonctions de chef de section de la topographie en 1912.
En 1908, C. Jacot-Guillarmod a francisé Javernaz en Javerne et Ausannaz en Euzanne. La mise à jour de 1928 rectifia les modifications arbitraires (swisstopo, collection cartographique, LT TA 484, 1908 et 1928).
Auch in der Deutschschweiz gab es leidenschaftliche Diskussionen über Karten und Sprache. Ein Vorwurf erwies sich als besonders hartnäckig: Die geografischen Namen der Siegfriedkarte seien zu stark ans Hochdeutsche angelehnt, während die Mundart zu kurz komme. In den 1930er Jahren wurde diese Kritik immer lauter. Insbesondere der Zürcher Sprachwissenschaftler Guntram Saladin setzte sich inbrünstig dafür ein, die geografischen Namen der Mundart anzugleichen. Im Jahr 1939 schrieb er in der Neuen Zürcher Zeitung, dass nur die «lebende Mundart des bodenständigen Volkes» berechtigt sei, in die Karten einzufliessen. Die hochdeutschen Namenselemente, die «volksfremde Kanzlisten und Geometer zufällig für gut befunden und auf dem Papier festgelegt haben», sollten hingegen aus den Karten verschwinden.
Mit seinen Forderungen rannte Guntram Saladin selbst bei der Landestopografie offene Türen ein. Es war die Ära der Geistigen Landesverteidigung, in der alles gefördert wurde, was als ‘echt schweizerisch’ galt – dazu gehörte auch die Mundart. Dennoch gab es Stimmen, die eine radikale Vermundartlichung der geografischen Namen kritisch sahen. So gab der Zürcher Kartografieprofessor Eduard Imhof zu bedenken, dass doch genau das Nebeneinander von Hochdeutsch und Dialekt typisch schweizerisch sei:
L’utilisation systématique du patois est une utopie […]. Le destin linguistique de la Suisse – la juxtaposition du patois et de la langue écrite – transparaît dans nos plans et cartes. Est-ce que cela vaut la peine de se faire des cheveux blancs ?
Le débat sur les toponymes en Suisse alémanique aboutit en 1948 à une réglementation sur l’écriture des noms géographiques : la priorité devait être donnée aux formes parlées alémaniques des noms de lieux-dits. Ce nouvel intérêt pour le dialecte se remarqua fortement sur les cartes officielles de la Suisse.
Kätsch devient Chätsch, Rotgrub devient Rotgrueb: au moment du passage de la carte Siegfried à la carte nationale, le dialecte est renforcé (swisstopo, collection cartographique,m LT TA 43, 1949 et LT LK 1071, 1956).
Les noms géographiques font partie de notre quotidien et touchent à des questions sensibles sur l’identité. À cela s’ajoute que dans de nombreuses régions suisses, il existe un fort contraste entre le parler et la langue écrite. Il n’est donc pas surprenant si les noms des ruisseaux, collines, vallées et pâturages continuent d’alimenter les discussions.
Durant les quelque 200 ans de l’histoire de la production cartographique officielle, au moins une certitude s’est imposée en Suisse : une unification artificielle des noms géographiques, qu’elle soit au profit de la langue écrite ou du dialecte, rencontre peu de sympathies. Comme Eduard Imhof le fit remarquer en 1945, le « destin linguistique de la Suisse » se caractérise par une cohabitation du dialecte et de la langue écrite – cela s’appliquait hier et continue de s’appliquer aujourd’hui aux cartes topographiques de notre pays.